Samedi 8 juin, la junte au pouvoir à Niamey a dénoncé dans un communiqué le « kidnapping suivi d’une prise d’otage » de cinq de ses ressortissants arrêtés trois jours plus tôt au port béninois de Sèmè-Kpodji. C’est là que le pétrole brut puisé dans les gisements d’Agadem, dans l’est du Niger, doit être chargé en bateau pour être livré à l’international, en vertu d’un accord signé entre Niamey, Porto-Novo et la China National Petroleum Corporation (CNPC) en 2019.
Le régime militaire a prévenu qu’il prendrait « toutes les dispositions » pour obtenir « la libération sans conditions » de ces citoyens, tous employés selon lui de Wapco, l’entreprise gestionnaire du transport du brut. Mais pour le Bénin, « au moins deux parmi ces personnes sont des agents nigériens au service du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie [CNSP, l’organe décisionnaire de la junte nigérienne] », a dénoncé Elonm Mario Metonou, le procureur spécial de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet), lors d’une conférence de presse organisée jeudi à Cotonou.
« Au lieu d’emprunter l’entrée principale et de s’enregistrer à la guérite, ces personnes ont préféré utiliser une entrée dérobée située à l’arrière du site » et « se sont fait confectionner pour la circonstance des faux badges d’employés de Wapco », a précisé le procureur. Cette arrestation a envenimé les relations entre le Bénin et le Niger, au plus bas depuis le coup d’Etat de juillet 2023 à Niamey. Engagé sur une ligne ultra-souverainiste, le régime militaire nigérien suspecte Porto-Novo de vouloir l’empêcher de contrôler le chargement du pétrole sur un gros-porteur arrivé dans les eaux territoriales béninoises fin mai.
L’enjeu financier est colossal tant pour Niamey, Porto-Novo que Pékin. Inauguré en novembre 2023, l’oléoduc d’Agadem, long de 2 000 km, doit permettre à plus de 90 000 barils de pétrole de transiter chaque jour depuis les gisements de l’Est nigérien jusqu’aux côtes béninoises. Mais depuis, l’exportation du brut à travers ce pipeline – qui représente un investissement de plus de 7 milliards de dollars de la part de la Chine, selon une source officielle béninoise – est entravée par le refus du Niger de rouvrir sa frontière avec le Bénin, fermée au lendemain du putsch de 2023.
Une décision qui pèse lourdement sur l’économie béninoise, car l’import-export en provenance et à destination du Niger représente près du tiers du trafic annuel du port de Cotonou. Engluée dans une grave crise économique depuis son putsch, la junte nigérienne compte pour sa part sur l’argent du pétrole pour renflouer les caisses de l’Etat. « Patrice Talon [le président béninois] le sait. Il utilise le pétrole comme levier de pression pour nous contraindre à rouvrir notre frontière », glisse une source nigérienne proche du dossier.
Début mai, Patrice Talon avait fait de cette réouverture une condition sine qua non au démarrage de l’exportation du pétrole brut, au moment où un premier gros-porteur venait d’arriver dans les eaux béninoises pour en charger 135 000 tonnes. En vain. Le 11 mai, le premier ministre nigérien, Lamine Zeine, avait réitéré sa décision de maintenir la frontière fermée, invoquant des raisons de sécurité nationale. Il avait alors accusé son voisin d’abriter « des bases françaises » dans le Nord afin « d’entraîner des terroristes qui doivent venir déstabiliser » le Niger.
Ces accusations avaient été réfutées par la France et le Bénin, deux pays alliés qui, au lendemain du coup d’Etat, avaient affiché leur soutien à l’option d’une intervention militaire régionale que tentaient alors de planifier les voisins du Niger dans l’objectif de libérer le président déchu, Mohamed Bazoum. Onze mois plus tard, ce dernier reste détenu au palais avec son épouse.
Une médiation chinoise envoyée mi-mai à Cotonou et à Niamey avait fini par convaincre Patrice Talon de tendre la main au régime militaire en accordant une autorisation spéciale temporaire permettant à la première cargaison de brut d’être chargée au port de Sèmè-Kpodji le 19 mai. Mais depuis, la discorde persiste. Sur demande de Pékin, le Bénin a envoyé fin mai une délégation gouvernementale à Niamey dans l’espoir d’obtenir si ce n’est une réouverture totale de la frontière, du moins une dérogation concernant l’exportation du pétrole.
« A défaut de ce minimum, toutes formalités douanières de transit du pétrole restent légalement impossibles entre le Bénin et le Niger », avait souligné Patrice Talon au retour de la délégation à Cotonou, le 30 mai. Cette dernière était rentrée de Niamey bredouille, le chef de la junte ayant même refusé de recevoir le ministre béninois des mines et de l’énergie. « La partie nigérienne n’a apporté aucune réponse à nos préoccupations. Il n’y a aucune raison qui justifie la méfiance et l’attitude de nos frères du Niger. Le temps de la protestation et des sanctions en raison du coup d’Etat qui a eu lieu au Niger est passé », a déclaré Patrice Talon. Mais la junte reste pour l’heure inflexible.